mardi 15 mai 2012



Je suis peut-être un enculé mais j'ai une droite redoutable.



Toute la bande zonait dans le garage de mes parents.
Y'avait Totos, Fred, Bondichou, Nugues, Nono et quelques autres. Le garage était grand, avec un plafond qui se perdait dans l'obscurité et quatre piliers de béton. L'architecte s'était gouré, dix ans plus tôt, dans les plans de la maison.
Elle était trop haute.
Dans le garage, c'était le foutoir le plus complet. Des centaines de cartons pleins de saloperies héritées d'ancêtres, ou ramassées je ne sais où, s'accumulaient partout. C'était plein de vieux meubles bouffés par des bestioles, de vieilles chaises sans pattes, de fauteuils défoncés, de seaux rouillés et/ou escaguasés, de cartables pourris ayant appartenu à ma soeur ou à moi, de vélos sans roues, de statues en plâtre, en plastique, en nougat. Il y avait même une voiture, une honda Z 600 orange, qui reposait sur des parpaings, à moitié dissimulée par des tas de merdes dont j'ai aujourd'hui oublié la nature. En repoussant les cartons, on arrivait à déplier la table de ping-pong. On jouait en buvant de la bière et en fumant des joints et des cigarettes.
Totos roulait un joint sur un tas de bocaux. Il ricanait, il portait des docks avec des coques et une chevelure frisée et mal peignée. Je me postais près de lui afin d'avoir une bonne dose de H.
La balle rebondissait sur la table. Ping! Pong! Parfois, elle se planquait dans le maelström et c'était tout un bordel pour la récupérer. Poil nous rendait visite, il n'avait plus qu'un oeil et une couille mais c'était un bon chat. Un bagarreur du tonnerre. Il fumait aussi. Il n'y avait pas trop de filles dans la bande. Je devais avoir 18 ans, j'étais en première et j'étais puceau. Cela me posait un problème. J'avais peur de crever dans cet état.
On a entendu la meule de Bouka qui remontait la rue. Son pot faisait un boucan d'enfer et il passait son temps à faire des tours dans le quartier. La mère Serraz essayait tout le temps de le coincer car le bruit la rendait folle. Avec du recul, je la comprends, plus de vingt ans sont passés et, à mon tour, je déteste le bruit distillé par les nouvelles générations (et aussi les anciennes).
J'aimais pas trop Bouka. Je trouvais que c'était un crétin, il me piquait Totos mais je ne pouvais lui interdire l'accès au garage. J'étais pas totalement une ordure et il m'avait dessiné une chouette pipe à eau sur un des murs de ma chambre ( c'était notre repaire de nuit juste en face de la chambre de mes parents, ceci est une autre histoire). Bref, Bouka a enfilé la descente qui menait au garage, il a rangé sa meule près de celle des copains. J'avais pas de meule, mon Père s'était planté avec un de ses engins au moment de ma naissance. Il était saoul. Mes copains avaient en moyenne deux ou trois ans de moins que moi. Ça m'allait. J'avais déjà redoublé trois fois et je faisais moins que mon âge, je veux dire physiquement et mentalement aussi. Pas question de passer mon permis avec mes résultats scolaires. De toute façon, cela ne me serait même pas venu à l'idée! J'ai dit que j'étais mentalement en retard ?
Bouka portait Guillem sur le porte-bagage. Putain! Cela me faisait chier. Guillem était un super-crétin, il frayait avec les « nuques-longues », des jeunes de notre âge, avec des looks de hardos. Les nuques-longues étaient encore plus primaires que nous, ils étaient agressifs et violents. Ils sortaient de familles moins favorisées que les nôtres, nous, on étaient des petits bourgeois. On écoutaient du rock des années soixante. On détestaient le hard-rock, les longs cheveux, les pantalons moulants, les chaînes et les posters de Maiden.
« Putain! Y fais chier Bouka! Pourquoi il emmène ce connard de Guillem? » je demande à Totos.
« Oh! Il est gentil Guillem... » répond Totos en passant le joint à Fred exprès pour me faire chier.
Je râle intérieurement en regardant ce crétin de Guillem qui nous serre la louche. Guillem faisait environ ma taille, 1m 80, mais il pesait, facile, ses quatre-vingt kilos. Moi pas. J'en faisais cinquante. Je bouffais jamais rien. Je n'avais pas faim. Je voulais pas manger. Je voulais baiser. Je voulais qu'une fille m'aime. Bref, Guillem n'était pas le mauvais cheval, il portait ses cheveux blonds coiffés à la page, avait un visage agréable et des yeux bleus. Il semblait un peu balourd et n'était pas méchant pour deux ronds. Je me suis roulé un joint, en ai bogarté la moitié puis fait la passe à Fred pour emmerder Totos. Je me suis tapé une bière. C'était un mercredi après-midi et les devoirs, rien à foutre, je les faisaient jamais, depuis le CM2.
Ma mère demandait:
« Cyril? Tu as fait tes devoirs? Tes notes sont lamentables! »
« Oui, oui, je viens de les faire. »
Aucunes vérifications.
Et mon père s'en branlait éperdument.
Au bout d'un moment mon mauvais génie à commencer à me tarauder. Je connaissais bien cette pulsion. Fallait que je fasse une saloperie à quelqu'un. C'était plus fort que moi. Je savais pourtant que c'était pas bien et je m'écoeurais tout seul. Que voulez-vous, personne n'est parfait!
La présence de Guillem m'était intolérable. J'enviais sa carrure et c'était un sympathisant des nuques-longues.
J'ai dit:
« Hé Guillem? Tu veux devenir un Troll? »
« C'est quoi un troll? » me répond Guillem avec un gentil sourire.
Je regarde mes potes qui s'arrêtent de jouer et qui attendent la suite.
« Ben notre bande, c'est les Trolls, ici, c'est notre quartier général, faut passer une épreuve pour devenir Troll! »
« C'est quoi l'épreuve? »
Je réfléchit un instant. Guillem était pur, il ne buvait pas encore d'alcool.
Je dis, en désignant une bouteille carrée de Grant qui avait échappé aux cuites du weekend qu'on prenait au bois de Malba.
« Faut se farcir cette bouteille de ouiseki! »
« Je bois pas d'alcool! »
« Un Troll ça boit! » et je continue à réfléchir. Je pouvais pas le virer comme ça. J'étais un salaud mais il me faisait tout de même de la peine.
« Bon, on se fait une partie de ping-pong, le vaincu boit la boutanche! »
« Et après, je serais un Troll? »
« Oui! »
« Même si je gagne? »
« Parole de scout! » je réponds en pensant que jamais je ne boirai le contenu de cette bouteille encore à moitié pleine.
On joue et je gagne d'un cheveu.
Guillem semblait désolé. Il nous regardait tour à tour, avec son sourire timide, on restait immobile à le regarder. Comme des corbeaux devant un aigle foudroyé. Une vrai bande d'enculés et j'étais le meneur. La bête dominante de la meute, pourtant je crois que c'était moi le plus faible, le plus timide et le plus inadapté. Il devait avoir envie de se casser, Guillem, mais, à cet âge là, on se fait facilement coincer.
Je lui ai tendu la boutanche.
« Va! » j'y ai dit.
Il a lampé une longue gorgée et a recraché le tout sur la table de ping-pong. Il a fait la grimace et s'est envoyé une autre rasade. Ses yeux sortaient de sa tête et il avait des hauts le coeur.
Finalement, il a terminé la bouteille. C'était un bon zig, je l'ai déjà dit. Il était saoul comme une barrique, il titubait et rigolait comme un bossu. Nous aussi, on rigolait.
« Chuis un Troll! Chuis un Troll moi aussi! » il gueulait.
«  Non! T'es qu'une grosse merde saoule! » j'ai répondu.
Après quoi, il s'est mis à dégueuler partout. Il tenait plus debout. Bouka et Totos l'ont porté jusqu'à la meule de Bouka. C'était un engin qui ressemblait à une moto, sauf pour les performances, il plafonnait à 45, avec une vaste selle à deux places et un tableau de bord d'avion. Bouka y avait installé un thermomètre, une boussole, un torche-cul automatique. Ils ont ramené Guillem chez lui.
Les copains ont fini par se casser. Ils rentraient, pour la plupart, faire leurs devoirs. Pas moi. Je suis resté seul, avec ma connerie. J'étais content de ma facétie mais, l'oeil qui me regardait en douce, me donnait le sentiment que je n'étais qu'une merde.

Le samedi suivant, je suis descendu chez Totos en enfilant Arthur Rimbaud, il vivait seul avec sa vieille mère (Totos pas Arthur). Son père s'était tiré, son frère et sa soeur, plus âgés, avaient aussi quitté le nid.
Devant chez Serraz ( un autre camarade qui n'était pas Troll mais artiste maudit), j'ai vu Totos qui discutait avec le gros Pastourel et un autre type que je ne connaissais pas. J'avais oublié l'affaire Guillem mais ma sonnette d'alarme se mit à tinter dans mon pauvre cortex.
« Attention. »
Pastou était gras et fort, moins grand que moi et blond. Quelques années plus tôt, au collège, c'était un crétin qui se faisait taper par presque tout le monde. Depuis, il se vengeait et avait pris de l'assurance. C'était un sympathisant des nuques-longues, je pouvais pas le sentir et je râlais chaque fois qu'il se pointait au bois de Malba.
J'ai serré la louche à Totos qui, me sembla-t-il, paraissait un peu bizarre. C'était mon plus vieux et meilleur copain, on s'était connus en 79, lorsque j'avais échoué dans cette banlieue dortoir pour cadre moyen. Il se faisait traîner par son chien Dick dans les pentes d'un terrain vague.
« Dis, tu me prêtes ton chien? »
Le clébard m'avait trainé, on était devenu amis.
Dix ans plus tard, Totos pactisait avec l'ennemi. Le traître, alors que tout les matins, il faisait semblant d'aller en cours et se planquait sous mon lit en escaladant la façade.
Pastou et son pote étaient assis sur un cube de béton qui habillait le compteur à gaz d'une maison en construction abandonnée depuis des années. J'ai serré sa patte. Elle était moite et grasse. Il me regardait en plissant les yeux. Il me cherchait. L'enculé de sa mère. J'ai fait comme si je voyais rien. J'ai discuté avec Totos. Une voix me disait. « Casse-toi. »
Le gros Pastou me quittait pas des yeux. Il suçait son briquet. Le faisait entrer et sortir de sa bouche en émettant des bruits de succions. Doux jésus! Qu'il avait l'air con! Son jeux buccal me fascinait. Je me demandais comment il parvenait à être aussi grotesque. On fait pas des choses pareilles!
En fait, c'était une ruse. Une ruse de guerre pour déclencher les hostilités. Il pouvait pas me mettre son poing sur la gueule comme ça.
Je continuais à regarder ce gros con qui suçait son briquet. J'ai pas pu m'empêcher de ricaner.
« Y'à un truc qui te fait rire? » me demande Pastou en serrant son bic dans son poing gauche.
« Attention, Cyril, que je me suis dit. Ce gros tas de merde est en train de se renforcer le poing pour te le mettre dans la gueule. »
J'ai fait un petit pas de côté afin de m'éloigner d'un bourre-pif éventuel.
« Pourquoi tu te marres? »
J'ai continué à sourire, surtout lorsqu'il s'est remis à sucer son briquet ( qui était rose en plus).
« Pourquoi tu rigoles? Enculé! »
J'ai pas pût m'en empêcher, même si Totos remuait ses sourcils afin de me prévenir du danger ( c'était quand même mon meilleur copain, merde!).
« Ben, je ris parce que tu as l'air de sucer une bite! En fait, tu ressembles à une grosse tata quand tu suces ton briquet! »
C'était parti.
Le gros Pastou m'a traité de tous les noms. Je vous passe les détails, il manquait de vocabulaire. J'encaissais avec courage. La maison était à moins de deux cent mètres. Il a fini par descendre de son siège. Moi, j'ai dignement battu en retraite. Devant Totos. Mon meilleur ami. Pastourel m'insultait tandis que je remontais la rue. Je me souviens, je portais un vieux Levis déchiré, avec des trous partout, au cul, aux genoux ect... c'était ma tenue de week-end, sinon, au lycée, je portais les vieux costards de mon père ( ils dataient des années soixante) et aussi un feutre. Comme Humprey. C'était mon look. Aux antipodes de celui des punks, des skins, des bècebèges ( mon lycée privé était plein de gros bourgeois bien sapés, sébago au pied et tout. Moi, j'étais juste un petit bourgeois, mes parents n'avaient pas les moyens de me payer leurs fringues. Lors, je tapais dans la vieille garde robe paternelle qu'avait gardée ma maman. Elle gardait tout. Et toujours, d'ailleurs.)
Bon, je remontais Arthur Rimbaud la queue-basse.
« Pédé! Trouillard! Gueulait Pastourel. Tu tortilles du cul comme un pédé! T'es qu'un pédé et un lâche! Viens te battre! »
J'en avais envie mais j'avais la trouille. Il était vraiment trop gros pour moi. Ses insultes m'atteignaient comme des flèches. J'étais un lâche et une tapette. Je suis rentré chez moi en un seul morceau mais mon amour-propre en avait pris un coup.

Le soir, je suis allé au bois, comme tous les weekends. On a bu des bières, fumé quelques joints, je me sentais pas bien du tout. Je suis rentré assez tôt, vers minuit, je me souviens que la lune était à son premier quartier. Je marchais dans les rues désertes de Malba. Les rues de Malba sont toujours désertes, de jour comme de nuit, pourtant, c'est une banlieue fleurie et prospère, pleines d'arbres, de villas cossues, de jardins publics. Mais pas un seul piéton. C'est toujours comme ça. Cela ne me dérange pas, d'ailleurs, car je n'aime pas le monde en général et les gens en particulier.
J'ai traversé le champ de la nouvelle Mairie. Le Maire, pourri jusqu'à la moelle, s'était fait construire une immense mairie, moderne et en brique rose. Le champ donnait sur une vallée, à moins de deux mille mètres à vol d'oiseau, les lumières de Toulouse lançaient leurs feus. J'aimais bien. Le champ descendait et je voyais le toit de la maison, c'était la dernière maison de la rue, la rue était une impasse. Comme ma vie. Il faisait sombre. Le champ n'était pas éclairé, on disait le champ parce qu'avant la construction de la mairie c'était un champ d'agricult.
Juste avant la descente j'ai entrevu trois formes sombres assises dans l'obscurité. J'ai vu, aussi, deux mobylettes de nuques-longues sur leur béquille.
« Merde! Pastou et sa bande! » J'ai pensé. Mon coeur s'est mis à battre dans ma poitrine d'oiseau. BANG-BANG! J'ai continué ma route malgré tout. Ils m'avaient pas encore vu. Je ne voulais pas me planquer. J'avais eu trop honte dans l'après-midi. Pourtant, je pouvais faire le tour et rentrer par le jardin des Serraz. Je connaissais ce quartier comme ma poche. J'y traînais depuis l'âge de neuf ans.
Les formes se sont levées. J'ai identifié Guillem, Garnier, le cousin de Pastourel et un autre gars, que je connaissais un peu et que je trouvais plutôt sympa. Je me suis arrêté à sept ou huit pas du trio qui m'interdisait de rejoindre la maison.
Guillem portait un fléau d'arme bricolé dans sa main. Avec ça, il me faisait gicler la cervelle d'un seul moulinet. J'ai un peu paniqué. Je savais que Guillem n'était pas exactement un intellectuel. Un fait divers est vite arrivé.
« T'as besoin de ça pour me casser la gueule? » j'ai dit ( je bluffais)
Guillem a joué avec son truc puis m'a souri. C'était décidément un brave type.
Son pote Garnier non. Il a dit.
« Tu as fait boire Guillem! On se bat en combat singulier! »
Ce mec était plus petit mais il me rendait bien vingt kilos. Enfin, c'était mieux qu'un roulement à billes dans la tronche. Je m'étais déjà battus une fois ou deux. J'avais pris plusieurs coups de boules par surprise, un gars m'avait bouffé le bras gauche, un skin ( qui s'appellait Goebel, je vous le jure) m'avait bombé la gueule à la lacrymo à la sortie du Cours Pourcelot. J'avais donc un peu d'expérience. Mais là, je fouettais. J'étais seul, ils étaient trois. Je savais pas comment les choses pouvaient tourner. Bon. Garnier commence à enlever son tee-shirt. Intimidation de gorille. Son torse était blanc, un peu gras, il commençait de faire sa musculation. Comme un débile d'ailleurs, en soulevant des charges lourdes pour avoir du volume. Rien à voir avec celle de Lee ou celle d'un poids moyen bien entrainés. Tout de même, son cirque m'en a porté un coup.
J'ai pas enlevé ma chemise. Je me sentais faible et minable. Pas viril pour deux ronds. Et en plus j'étais puceau, aucune femme ne m'aimait et j'allais sans doute mourir ce soir, d'un coup de casse-tête.
On a commencé à se tourner autour. Je savais que je méritais une bonne rouste mais ça me faisait chier que se soit Garnier qui s'y colle. C'était vraiment un connard fini. Enfin, il pesait moins lourd que Guillem...
Garnier tournait autour de moi en position de boxeur. Il faisait tout un cirque. Je laissais mes bras ballants, garde basse, poings verrouillés avec mes clés serrées dans la main droite. J'ai des bras très long, un buste court et des jambes maigres et longues aussi. Mes mains sont longues mais assez larges et surtout, j'ai des métacarpes très osseux. Le problème c'est que, chaque fois que je foutais mon poing sur la gueule d'un tiers, je me pétais un doigt. Va savoir pourquoi? J'assurais donc ma défense et je contrais les attaques tièdes de Garnier qui n'était pas si vaillant que ça. Pour l'heure, je ne m'en rendais pas compte. J'avais les foies. Il me tardait que ce soit fini. A un moment, ce chien, s'est rué sur moi, j'ai esquivé un direct en lui tournant le dos. L'enculé m'a botté les fesses. C'était insultant, il se marrait comme un bossu.
Il répétait:
« Viens là! Viens là! »
Ma stratégie était d'attendre. Un peu comme un chat acculé dans un coin par un gros con de clébard. Le chat n'est pas toujours le perdant dans ce genre de scénario.
« Bas-toi! Pédé! »
Encore, cette famille n'avait que ce mot à la bouche!
Garnier faisait le pressing, je reculais sur l'herbe. A un moment, j'ai senti un truc contre mon mollet. C'était un des tendeur en fil de fer qui assurait le tronc des jeunes pins parasols planté un peu partout. Garnier, ce fils de pute, comptait que je me plante sur ce truc. J'ai failli me rétamer en arrière. Garnier s'est jeté sur moi, tête en avant, à découvert, pour me foutre un grand pain. Je me suis rétabli.
J'ai évité sa pêche.
Ma droite est partit toute seule.
Comme un éclair.
C'est pas moi qui commandait.
J'avais sa tronche dans le collimateur.
Comme le baron rouge,
ou Robin des Bois,
je savais que j'allais faire mouche.
Ça c'est passé en une fraction de seconde.
Un superbe bolo-punch à la KID GAVILLAN.
Mes jointures se sont écrasées sur son arcade gauche et j'ai vu sa face se décomposer. Garnier est parti en arrière en gueulant de surprise et de douleur. Quoi? C'était pas dans le scénario! Le squelette se laissait pas enculer sans broncher! Garnier se tenait la tronche. Un sentiment de puissance coulait dans mes veines comme de l'or en fusion. J'étais libéré de toute peur. Guillem et Machin ne bronchaient pas. Garnier se tenait la tronche. Il pissait le sang comme un porc.
« JE VAIS TE TUER! JE VAIS TE TUER! » il a dit plusieurs fois.
Mais, c'était pas un encaisseur. Il m'a tourné autour pendant quelques secondes. Son sang coulait sur sa poitrine. J'attendais de lui en remettre une autre.
Tout d'un coup, il s'est arrêté, il a dit d'un ton autoritaire vacillant.
« Bon, de toute façon, j'avais pas envie de me battre! »
Et il est allé s'essuyer la tronche avec son teeshbie.
Restait Machin et Guillem avec son fléau d'arme. Ils semblaient pas trop motivés. On a temporisé. Machin a ouvert une canette de bière. Garnier en a bu. Il chialait presque. Guillem aussi ( il buvait maintenant ).
Je me suis avancé vers Guillem et je lui ai présenté mes excuses pour le ouiseki et tout.
On s'est serré la main.
Garnier a redit.
« J'avais pas envie de me battre! »
J'ai serré sa main en restant à distance. Je connaissais ce genre de gus mais il semblait dégonflé.
Je suis rentré chez moi. Les étoiles et la lune me souriaient. J'étais un grand boxeur. J'ai fumé un joint sur mon balcon en regardant les lumières de Toulouse et en regardant mon poing tout juste écorché.
J'étais toujours aussi puceau mais j'étais heureux.           

lundi 14 mai 2012

Les Noces de Falquin : Tome 1 du roman de l'homme-renard (extrait)


CHAPITRE UN

FALQUIN BELLEQUEUE

Le fuyard courait parmi les ombres tristes de la forêt.
Il transperçait les buissons, sautait par dessus les fossés,
dérapait avec adresse sur les traîtres cailloux qui se glissaient
sous les semelles de ses bottes usées.
A quelques centaines de mètres derrière lui retentissaient les
aboiements, les sons de cors et les cris de la meute lancée à ses
trousses.
Falquin, l'homme-renard, venait une fois de plus d'être trahi par
sa queue.
L'affaire ne devait poser aucun problème.
C'est ce que lui avait assuré Astor l'homme-rat.
La cassette se trouvait bien à sa place sur l'autel de pierre du
temple de Ratablistra.
Falquin portait la longue toge safran ratablistrienne. Cet habit
sacerdotal avait été conçu par Dame Hertisia. Les petits disques
de verre et de cuivre tintaient agréablement sur les manches
bouffantes de l'habit et les volants de dentelles qui ornaient son
large col répondaient aux couleurs sacrées de ce culte
champêtre.
L'homme-renard avait fait son apparition dans le temple aux
murs de terre en effectuant avec précision les quatre cabrioles et
le doigt d'honneur orthodoxe.
Il avait reniflé la cendre verte qui emplissait un bol de cuivre
orné de scènes effacées encore équivoques.
Ses éternuements, ainsi que l'exigeait le rite, avaient claqué avec
force sous la grande voûte soutenue par de longs piliers de bois
sombre qui évoquaient les mâts d'un puissant navire de guerre.
Les quelques prêtres qui digéraient et/ou se caressaient avec
concentration et sagesse dans le fond de la salle ne lui
accordèrent aucune attention.
Falquin marcha droit vers l'autel en dépassant une vieille poule
perchée sur un barreau réservé aux « Etres à Plumes » et qui
faisait tournoyer un énorme et lourd chapelet de fer au-dessus de
sa tête étroite. La femme-poule dévidait des psaumes en
caquetant dans une langue qu'elle ne comprenait pas.
L'autel, un gros bloc d'obsidienne mal équarrie, était entouré de
larges dalles de verre miroitantes.
Falquin sortit d'une des poches de son gilet de voleur une
réplique grossière de la cassette qui contenait la Canine
d'Insioum le Jaune, l' Incubateur.
Tendant sa longue main souple aux ongles noirs et brillants,
Falquin saisit la cassette originale.
Un choc explosa à l'arrière de son crâne.
L'homme-renard s'étala sur le sol et la cassette glissa dans un
coin obscur et éloigné de sa convoitise.
"AU VOLEUR! AU GOUPIL! ALERTE AU NUISIBLE!"
hurlait la poule qui menaçait Falquin de son redoutable chapelet.
Ventre à terre le voleur fila vers la sortie tout en se maudissant
intérieurement.
Il venait de comprendre la cause de son infortune.
Le sol en miroir qui entourait l'autel avait donné l'alerte à la
femme-gallinacé.
La maudite bigote avait certainement entrevu sa queue rousse et
blanche dissimulée sous la toge.
Cet appendice lui avait permis d'identifier un représentant d'une
des races les plus détestées du pays Occicadien.
"Sales calamités que ces oiseaux incapables de voler! Combien
de gentillesbêtes de fortune sont tombées par leur faute..."
pensait Falquin tout en laissant le temple derrière lui.
Le bourg était petit. Le voleur le traversa en moins de trente
battements de coeur.
Poursuivant sa course, il s'enfonça en longues enjambées dans
les sous-bois de la Forêt Grise.
Falquin évitait les chemins fréquentés par les forestiers et les
voyageurs. Il suivait d'instinct les pistes sinueuses des cuissards
et des autres hôtes sauvages qui peuplaient le domaine sylvestre.
Soudain des sons de cornes pulsèrent dans son dos.
« Déjà! » se déclara le fuyard en accélérant sa course
silencieuse.
Falquin espérait que la meute des Fliiques, lancée à ses basques
et habituellement composée d'hommes-chiens, ne compterait pas
dans ses rangs quelques rapides lévriers.
La chose lui semblait toutefois peu probable pour un bourg si
petit et une affaire aussi médiocre.
Avisant un cours d'eau peu profond, Falquin quitta ses bottes,
retroussa les jambes du pantalon de cuir qui avait connu des
jours meilleurs et entra dans le ruisseau afin de brouiller sa piste.
L'eau fraîche chatouilla ses minces mollets parcourus de
quelques poils roux et soyeux.
Le voleur était fier de son absence de pilosité. Elle lui procurait
un certain succès auprès de l'autre sexe.
Le brigand vivait une période difficile.
Sa bourse était plate et son estomac creux.
Une situation dure à vivre pour un être qui avait, jadis, connu
fortune et gloire au sein de la très fameuse Guilde des Voleurs de
Roseblanche.
Falquin était maigre et musclé, d'une taille supérieure à la
moyenne, il avait la jambe et le bras long. Son visage glabre était
orné d'un long museau dépourvu de truffe. Ses yeux obliques et
rieurs lançaient des étincelles noires du fond de leur orbite. Sa
bouche, large et cruelle, s'ouvrait sur de belles dents saines et
blanches desquelles se détachaient, comme des dagues
périlleuses, quatre incisives tranchantes.
Les oreilles de Messire Falquin étaient rousses, longues,
triangulaires et pointues, neigeuses aux extrémités. L'homme
portait ses cheveux automnaux courts. Il était coiffé d'un coquet
bicorne de feutre bleu.
Selon son humeur, ses moustaches blanches prenaient des angles
différents. Elles se tenaient présentement à l'horizontale tandis
que ses oreilles, pointant vers le ciel, tentaient de capter toute
source de bruits insolites.
Grâce à ses caractéristiques physiques, sa forte dose de Plank's*
( son grand père paternel était un humain de sang pur), Falquin
pouvait facilement se faire passer pour un respectable chien de la
Maison Lévrier ou Setter.
Il naviguait librement, cachant sa queue de renard sous une
épaisse cape, aux quatre coins du pays Occicadien et même
parfois au-delà.
Falquin trotta une paire d'heure avant que les cris de la meute qui
le pourchassait ne fussent emportés par la distance.
Satisfait du silence qui régnait autour de lui, il remonta sur la
rive et entreprit de rechausser ses bottes. Falquin appuya son dos
contre le tronc carré et mou d'un gros arbre à feuilles mauves.
Il ricanait aigrement à cause de son échec.
"Pauvres chiendarmes demeurés! C'est toujours un plaisir de
filer entre vos pattes!"
"Oui-da! Les chiens sont de sacrés imbéciles! Lève donc un peu
tes pattes et retourne-toi doucement et sans me faire d'arnaque!"
ordonna soudainement une voix inconnue qui jaillit sur le côté
gauche du voleur.
Falquin glapit d'effroi et lâcha ses bottes sous l'effet de la
surprise avant de suivre sagement les instructions qu'on venait
de lui dicter.
Un homme-blaireau, assez vilain, le braquait de son arbalète à
une dizaine de pas de distance.
L'intrus venait de sortir d'un fourré assez dense. Il était
misérablement vêtu. Veste de cuir sale, pantalon court plein de
tâches et de trous. Sabre rouillé pendant à une ceinture de corde.
Falquin nota qu'il ne portait pas de disque de métal sur la
poitrine.
Ce n'était donc pas un représentant de l'ordre officiel.
Cela pouvait être un bon signe...
"Maître Blaireau, voici une vilaine façon d'engager la
conversation avec un inconnu." déclara le renard en levant les
mains dans un geste instinctif qui indiquait une certaine
habitude.

* Voir les raisonnements du magicien Fagstraff

"Laisse tomber tes armes mais doucement... j'ai les nerfs à fleur
de peau." répliqua le blaireau qui avait l'expression fort cruelle.
"J'obéirais bien à vos désirs car je suis lâche, impressionnable et
gandhiste de surcroît! Mais je ne porte jamais d'instruments de
mort, c'est interdit aux représentant de ma secte!"
L'homme-blaireau sembla réfléchir un instant. Il cracha sur le sol
avant de déclarer.
"Que fout un gandhiste dans une robe de ratablistrien, à marcher
bottes à la main dans un ruisseau de flotte glacée?"
"C'est que je souffre de terribles oignons... l'eau fraîche les
ramollit et ma femme me les pèle..."
"Très drôle! Tu es un comique l'ordure rousse... c'est mon
dernier avertissement, ta peau vaut presque le même prix morte
ou vivante..."
"Oh, trois fois rien, je te l'assure Maître Blaireau..."
A contrecoeur, Falquin se débarrassa de sa toge. Il ôta d'un
fourreau de cuir passé dans sa ceinture, une longue dague courbe
au manche taillé dans une canine de poisson.
Falquin balança négligemment l'arme dans le ruisseau qui se
trouvait à quelques pas de lui.
"Cagot stupide! Pourquoi avoir fait ça? » lui déclara l'arbalétrier
courroucé qui avait remarqué la belle facture de l'arme.
"Toutes mes excuses, cet endroit en valait bien un autre."
répliqua le renard d'un air désolé.
"Tu vas sur le champ aller me la chercher et sans me faire
d'entourloupe!" lui déclara le blaireau en soulignant son ordre
d'un hochement d'arbalète.
"Pourquoi trahir ainsi tes pairs, blaireau? Tu es un cagot tout
comme moi. Les bourgeois te méprisent, les culs-terreux te
haïssent, les fliiques te traitent comme une fiente de serpoiseaux,
essayons de nous montrer raisonnable, je pourrais te brancher
sur un coup très fumant, nous pourrions..."
"Ferme donc ta bouche*! Que m'importe ce que pensent ces
minables! Je suis plein de Plank's! Mon Père était un noble
Humain!" coupa le blaireau avec hauteur.
Falquin riait sous cape.
Le blaireau mentait comme un arracheur de crocs.
Sa vilaine face pleine de poils raides, sa truffe humide , ses
pattes plus animales qu'humaines indiquaient un grand manque
de Plank's.
Il y avait gros à parier que les godillots du blaireau contenaient
des pattes poilues dotées de griffes jaunes et non pas une paire
de pieds plats à orteils, assez peu pratiques à la vérité, mais, "oh
combien plus élégants".
« Certes! J'avais remarqué la qualité de ta personne, Maître
Blaireau! Vois-tu, nous sommes tous deux du même rang!
Regarde un peu mes pieds... regarde la forme de mes mains...

* Ferme ta gueule !

Cher blaireau, cela réchauffe mon coeur solitaire de tomber sur
un être aussi gâté que toi!"
"Pouah! Tu n'es qu'un sale goupil crasseux! Un nuisible de la
plus basse espèce! Tu es indigne de fréquenter les villes, d'entrer
dans les auberges! Une vieille truie en rut te refuserait sa
couche! Nous n'avons rien à voir ensemble!" rétorqua le blaireau
jaloux mais impressionné par la nature humaine des
terminaisons du renard.
« Que nenni pour la truie... je me souviens d'une fois où... mais
enfin qu'importe... attends donc un instant et laisse-moi te
montrer mon poitrail, c'est de l'humain pure race! Je gage que tu
n'as jamais vu cela..." déclara Falquin d'un ton badin tout en
portant ses mains aux boutons de corne de son gilet.
Entrouvrant une petite poche dissimulée, Falquin jeta une
capsule de papier contenant de la poudre explosive et des billes
de plomb sur la truffe du blaireau qui, sottement intrigué, s'était
avancé de trois pas.
Sous le coup de la surprise et de la douleur, le chasseur de prime,
tel était son métier, lâcha l'arbalète et tomba en arrière.
Falquin avait ramassé une belle pierre plutôt lourde.
Il la lança avec violence en direction de la trombine du blaireau
avec la ferme intention de faire gicler sa cervelle hors de sa tête.
Espoir perdu.
Le blaireau esquiva le projectile, bondit sur son séant et dégaina
son dangereux sabre court.
Le renard, en roulant sur le sol, évita la lame qui sifflait devant
ses yeux.
Au passage, il happa une de ses bottes.
Le blaireau était rapide, costaud, courageux.
Mais lamentable en escrime.
Le renard, formé à bonne école, l'assomma d'un grand swing de
sa botte au talon lestée de fer.
Le chasseur de prime gisait à présent les bras en croix sur un
tapis de mousse.
Falquin lui administra un second coup du talon de sa botte. Ses
poches contenaient en tout et pour tout, un vieux canif
malpropre, un mouchoir tout raidi et... dix roups de cuivre.
C'était un maigre butin.
Falquin récupéra la dague qui gisait sur le sable du ruisseau. Il
l'essuya doucement avec la casquette verte à carreaux du
blaireau et fila sans demander son reste.
Le voleur quitta la Forêt Grise en cheminant une bonne heure
vers le sud-ouest tout en suivant un étroit sentier de terre qui
serpentait au milieu d'une lande sévère.
Il contourna une chaos de pierres vertes translucides puis
s'enfonça dans un épais bosquet d'arbres recouverts de pointes
acérées.
Escarboucle lançait ses derniers feux dans le ciel indigo
parcourut d'une myriade de nuages champagnes.
Cornaline, l'astre nocturne, serait invisible ce soir-là.
La nuit promettait d'être sombre.
Ce n'était pas le moment de traîner dans les environs, d'autant
plus que Falquin avait flairé une grosse bouse de
sakamantèque...
Vigilance.
L'homme-renard s'accroupit au milieu des racines tordues d'un
vieux cèdre terrien. Un énorme serpoiseau lança sa trille audessus
de sa tête, un couleuvrard, une espèce inoffensive et
même assez sociable.
Falquin tira une poignée de bois dissimulée dans le tronc de
l'arbre qui servait à désactiver les pièges de la tanière d'Astor le
rat. Il se mit alors à gratter le sol de terre meuble et dévoila une
petite trappe dissimulée. Falquin souleva la trappe et se glissa
dans un boyau obscur, fort bien tenu et éclairé par une petite
lampe à huile. Falquin frappa le code convenu à une épaisse
porte bardée de métal qui se trouvait à l'autre bout du passage
sous-terrain.
La porte grinça, une voix criarde déclara:
"Entre Falquin!"
Tout comme Falquin, Astor le rat était un voleur qui avait jadis
appartenu à la Guilde de Roseblanche. Il arrivait à peine à
l'épaule de son compagnon, mais était de grande taille pour un
représentant de sa race. Astor avait quitté Roseblanche quelques
années plus tôt, laissant derrière lui ses deux mains qu'on lui
avaient cousues sur la peau de son crâne entre ses oreilles roses.
C'était un des châtiments fantaisistes que l'on réservait aux
voleurs et aux autres aigrefins qui avaient l'infortune de se faire
prendre.
Astor avait cependant eu de la chance. D'autres collègues avaient
connu des traitements beaucoup plus cruels. Le rat, privé de ses
outils de travail, avait renoncé à sa confortable place de Coupe-
Bourse de rang Bleu Nuit. La Guilde, en contrepartie, lui avait
attribué le dédommagement lié à son rang, soit cinquante thunes
d'or, un joli pactole pour qui n'était pas dépensier et savait vivre
chichement.
Banni de Roseblanche par le Tribunal du Peuple, le rat et sa
femme, Dame Hertisia, ainsi que ses nombreux rejetons, avaient
pris villégiature dans ce coin perdu de l'Occicadie, à quelques
vingt jours de marche de la capitale portuaire de Roseblanche.
Falquin se jeta dans un fauteuil de cuir installé tout près de l'âtre.
La pièce principale, un salon, s'ouvrait sur une cuisine et trois
portes rondes peintes en vert qui déservaient des chambres à
coucher.
L'ameublement de la pièce sous-terraine était coquet, très "rat
des villes", tout était sain, net et cosy.
Les murs blancs, recouverts de chaux, étaient décorés de jolies
aquarelles qu'Astor peignait avec la bouche et parfois même
avec ses pattes arrières.
Le feu crépitait doucement dans son âtre et la nuit s'installait
derrière une petite fenêtre de papier huilé dissimulée au ras du
sol extérieur.
Astor fumait une longue pipe de verre qu'il tenait entre ses
griffes recouvertes de laque bleue. La pipe contenait un mélange
de résine de jajba et de tabac au miel.
Le rongeur lança un regard oblique et perçant à l'adresse de son
compagnon; comme celui-ci restait sans rien dire, il rompit le
silence.
"Nous avons raté notre coup, n'est ce pas Falquin?"
Le voleur agacé fit un rapport laconique à son compagnon et
déclara pour finir en rabattant ses oreilles à l'horizontale:
"C'était une simple affaire de niveau un, un gamin aurait fait
mieux que moi, j'ai foiré mon coup.... je crois que je suis bon
pour la retraite..."
"Faux! Cela n'a rien à voir avec tes qualités intrinsèques et tu le
sais très bien! lui répliqua sévèrement Astor en agitant sa pipe
fumante. Tu serais aujourd'hui la patte droite du Grand Vide
Coffre si tu avais bien voulu te débarrasser de ton panache
d'orgueil!"
"J'emmerde cette vieille chouette! Démoclius m'a fait foutre à la
porte de la ville comme un malpropre! Et de plus, jamais je ne
trancherai cette queue! Mes semblables sont trop peu nombreux
à la surface de ce monde! Je la porte avec fierté et en souvenir de
ceux qui ont souffert de leurs natures! Je la porte au nom des
charognards, des hyènes, des loups, des corbeaux, au nom des..."
s'emportait le voleur en agitant ses longs bras minces et musclés
dans l'air surchargé de fumée.
"Je connais ton discours! coupa le rat. Mais à cause de ceci...
Astor pointa sa pipe vers la queue de Falquin... tu es condamné à
faire des coups minables en compagnie d'un voleur sans mains et
à te tenir loin de Roseblanche et de toutes ses splendeurs..."
Fouillant les profondeurs de sa blague à tabac, Falquin se roula
sombrement une cigarette de gris.
Il y avait des lustres qu'il n'avait goûté une de ces cigarettes
favorites. Il aurait donné beaucoup pour fumer une Henson &
Bedges de la maison Montochristi mais certainement pas sa
queue.
"Je reviendrai à Roseblanche..." chantonna-t-il en soufflant la
fumée au plafond.
" Tu es trop fier Renard, cela te perdra... vois, tu fumes ce tabac
répugnant, alors que devant toi, sur cette table, mon pot de blond
miellé te tend les bras. Je connais aussi ton attirance pour le
jajba..."
"J'ai pris goût au gris dégueulasse! Je m'ascétise avec l'âge... en
ce qui concerne le jajba, je m'abrutirai, si tu me le permets, une
fois le ventre bien plein."
Dame Hertisia, une belle rate grise, dressa la table en plaisantant
avec Falquin qui l'aidait tout en plastronnant sous le regard
amusé d'Astor qui reconnaissait bien là son renard.
Ils se restaurèrent de choux bouillis accompagnés de racines de
courcouilles, de beurre salé, d'un délicieux pain au fromage et de
belles tranches de viande de cuissard croustillantes. L'ensemble
était arrosé d'une bière noire et moussue.
"Délicieux repas, Hertisia, tu es un véritable cordon bleu."
déclara Falquin en se bourrant une pipe pleine de jajba.
Les enfants du couple s'amusaient à quatre pattes sur le sol de
terre cuite.
La dose de Plank's qui courait dans leur sang n'était pas très
élevée.
Dans quelques mois, au début du printemps, les Noces
commenceraient. Avec un peu de chance, Dame Hertisia
parviendrait à se procurer un Parchemin Rose afin de se faire
engrosser gratuitement par un humain de sang pur. Sans cela, il y
avait toutes les chances que les descendants d'Astor ne
régressent vers une parodie de bestialité débile et stérile.
"Tu regardes mes rejetons, ma descendance n'est guère
brillante... vois Lucien, le pauvre hère... il passe son temps à
ronger des bouts de bois car sa dentition ne cesse de croître.
Enfin, j'espère trouver des permis pour Fiola et Claudia, elles
redonneront un peu de vigueur à ma pauvre lignée déclinante. Je
garde un peu d'espoir car pendant les Noces, pas de pucelle qui
ne garde sa fleur!"
"A l'exception des femmes-crapauds pleine de pustules!"
plaisanta Falquin.
La vie était encore plus rude pour les infortunés batraciens qui,
s'en être d'intouchables cagots, étaient regardés avec mépris et
hauteur par les cochons, canards, chiens et autres races plus
évoluées.
"Parle-moi un peu de tes projets et bourre-toi une nouvelle pipe.
Un être tel que toi ne devrait pas rester trop longtemps dans
l'ornière."
Falquin balaya du revers de la main une mouche imaginaire, il
répliqua:
"Tu fais référence à mon Plank's? Il ne me sert pas à grand
chose, je me dois d'avancer la queue masquée..."
"Zac! Un simple coup de hache, un authentique faux permis
attestant ton appartenance à je ne sais quelle maison de clébards
et le tour est joué. Tu pourrais faire de la politique! Après une si
brillante carrière de voleur, ce serait logique et les fliiques te
laisseraient tranquille."
"Laisse ma queue en paix! J'y tiens, elle reste à sa place et
jamais je ne deviendrai cabot!" répondit le renard en s'excitant.
"Bon, n'en parlons plus, la nuit est déjà vieille, allons nous
fourrer au paddiock!" rétorqua le rat d'un ton conciliant tout en
battant les restes de cendres dans l'âtre de terre cuite de la
cheminée.
Le lendemain matin, alors qu'Escarboucle, noble astre
flamboyant, venait juste de sortir de sa salle de bain, Falquin,
armé de son arc et de sa fidèle rapière, prit congé de son
camarade d'infortune.
Il portait sur son dos un sac de toile rempli de nourriture et une
grosse couverture de laine toute neuve, cadeau de Dame
Hertisia.
Il s'en allait à grandes enjambées en direction de Roseblanche,
avec l'intention de se mettre à la recherche d'un coup fumant,
tout en évitant la double menace de la Guilde des Voleurs, qui ne
voulait plus entendre parler de lui tant qu'il s'obstinerait à garder
sa dangereuse queue, et celle de la police.
"Hé Falquin! J'y pense, fais un détour par Montolitator, c'est la
saison du Grand Tournoi d'archerie, il y a moyen de gratter
quelques roups! Et regarde au fond de ton sac, tu auras une jolie
surprise..." lui lança Astor qui se tenait sous l'ombre des arbres
qui dissimulaient sa retraite.
"J'ai bien senti l'odeur du jajba! Merci pour ta délicate attention!
Ne t'inquiètes pas pour le concours, je torcherai tous ces culsterreux
et ce, grâce à ta fameuse méthode instinctive!" répliqua
le renard en le saluant à coups de chapeaux redoublées.
"C'est la meilleure des méthodes! Je suis malheureusement
beaucoup moins précis qu'autrefois! répliqua Astor en soulevant
ses moignons. Je crois bien que j'ai perdu la main!"



CHAPITRE DEUX.

VELOCIPEDE ET MONSTRES DE LA NUIT.

Falquin marchait bon train sur le bord d'une petite route.
Il sifflotait entre ses dents serrées une chanson absurde. Il lui
tardait de revenir humer le bon air salin du port de Roseblanche.
Les tavernes pleines de bruits et de fumée du quartier mal famé
de Coudecreux lui manquaient cruellement.
Sa bourse était plate soit ! Le concours de tir à l'arc de
Montolitator tombait vraiment à pic.
Une pluie fine et pénétrante commença de tomber et le bicorne
qui protégeait le chef de Falquin se gorgeait doucement d'eau.
Le renard allongea son pas, soucieux de se soustraire à
l'humidité ambiante.
La campagne avait changé d'aspect. Elle était passée, en un
instant, du bucolique à la mornitude la plus absolue. L'air était
humide et froid, une brise chargée d'humidité transperçait la
vieille cape du pèlerin.
Pas une âme sur la route, personne dans les champs, même les
serpoiseaux avaient déserté les cieux alourdis de nuages gris et
noirs.
L'hiver avançait doucement ses pièces. Il allait bientôt lancer ses
grandes offensives. Falquin n'avait aucune envie de passer une
nuit à la belle étoile.
Il détestait le camping.
Au début de l'après-midi, Falquin posa son fondement aigu sur
une pierre et consulta sa montre-gousset. Il s'enveloppa
frileusement dans les pans de sa cape afin de se protéger des
rafales de vent glaciales venant des montagnes neigeuses qui se
dressaient plus haut dans le nord.
Au-dessus de la silhouette courbée du renard, Escarboucle
tentait en vain de percer le bouclier nuageux.
Falquin mangea tout de même avec appétit les gaufres au lard et
les petites pommes ridées de Dame Hertisia qu'il faisait passer à
l'aide de longues rasades de vin. Repu, une cigarette aux lèvres,
il reprit son chemin et atteignit une heure plus tard une croisée
des chemins.
Les peintures qui recouvraient le poteau indicateur avaient
connu des jours meilleurs mais elles indiquaient encore
correctement les directions et les distances.
Falquin lut :
Montolitator : 30 Km.
C'était beaucoup trop de distance à parcourir avant le crépuscule.
Cette campagne, calme et champêtre durant le jour, deviendrait
un lieu hautement infréquentable une fois que Cornaline, l'astre
nocturne ovale, aurait pris la possession des cieux.
Falquin avisa dans le lointain les toits de tuiles rouges d'une
assez grosse ferme.
A l'aide d'une cordelette, il attacha sa queue contre son dos afin
qu'elle ne dépasse pas de la cape et ne vienne ruiner ses
intentions. Il réajusta son bicorne et tâta de la paume de la main
l'embout de verre bleu qui ornait le pommeau de sa rapière à
coquille.
La cour de la ferme ressemblait bien à une cour de ferme. Boue
infâme, flaques brunes et sales, odeur de fientes plein les
narines.
Les poules-animales qui couraient dans tous les sens en
caquetant étaient bien nourries et en bonne santé. Sur son tas de
fumier, le coq, paré de plumes bleues, blanches et rouges
regarda Falquin d'un oeil suspicieux.
"N'aie crainte, Coq, je ne te veux plus aucun mal. Je ne marche
plus sur mes quatre pattes depuis belle lurette!"
Le coq chia en silence sur son promontoire tout en regardant
passer le louche étranger d'un air digne.
Falquin frappa trois grands coups contre la porte d'entrée du
corps principal de la bâtisse.
Quelques instants plus tard le judas claqua, laissant apparaître
une face de porc poilue, équipée d'une paire de petits yeux bleus
luisants et inquisiteurs.
"Qui va là? GROUIIKKK!!!" déclara l'homme-porc d'un ton
rogue.
"Don Totobas de la Maison Lévrier! J'ai perdu mon carrosse et
mes gens dans une rixe! Je réquisitionne cette ferme! Ouvre-moi
cette porte Maîstre Porc! Tu en seras récompensé dans une vie
future!"
Le fermier détailla Falquin des pieds à la tête, avisant ses vieilles
bottes au cuir craquelé et sa cape noire fanée, il éructa.
"File, mange-la-merde! Passe ton chemin,GROUIIKKK! Nous
n'aimons pas les branlôcheurs par chez nous!"
Falquin, qui n'appréciait guère les insultes et avait le sang chaud,
frappa un grand coup de botte dans la porte qui en trembla sur
ses gonds.
"Arrête ça, macaque, ou il t'en cuira!"
Falquin frappait comme un fou sur la porte qui essuyait l'orage
avec impassibilité. Elle s'ouvrit finalement à la volée. Le renard
exécuta un bond en arrière afin d'éviter de se faire embrocher par
la fourche que le coléreux cochon tentait de lui faire passer en
travers de la poitrine.
Falquin battit en retraite au milieu de la cour et déclara avec
indignation:
"Noble pachiderme, voici de bien vilaines façons! Regarde bien
mon visage radieux, vois cette dose de Plank's, je ne puis être
branlôcheur avec un tel héritage génétique !"
"Plank's ou pas, je m'en rince les doigts! Dégage de ma cour ou
crève sur l'instant!" lui répondit le cochon en dégainant un
pistolet tromblon de sa grosse ceinture cloutée.
"Oups! Attention la poudre explosive est capricieuse et cet engin
pourrait bien te sauter à la gueule!"
"Pas celui-ci, je l'huile et le bichonne chaque jour, casse-toi
maintenant..."
"Mais enfin, je suis un être pacifique, un philosophe
péripatéticien, mon savoir sans limite éclairera ta maison, en
échange tu..."
"Je compte jusqu'à deux..."
Falquin lâcha l'affaire.
Un porc est un porc et il est impossible de traiter avec cette
engeance, pis qu'avec les hommes-béliers qui sont eux-mêmes
aussi têtus que des hommes-mules.
Falquin reprit sa route en pestant. Il marchait la queue basse, la
pluie tombait drue, son moral était à zéro. Le vent soufflait
comme un dingue, dans quelques heures il ferait nuit, ce n'était
pas très réjouissant.
Le marcheur grimpa une côte au sommet de laquelle il repris
rapidement son souffle et tourna la tête, sans raison particulière,
dans la direction d'où il venait.
Surprise!
Au bas de la pente, un cycliste, le gros cochon de la ferme,
pédalait comme un dingue courbé sur un vélocipède demicourse.
"Le gros ne m'a pas encore vu, c'est une occasion inespérée!"
déclara Falquin en ricanant car il avait pris l'habitude de parler à
haute voix durant ses longues pérégrinations solitaires.
D'un bond, le renard se cacha derrière un arbre qui bordait la
route.
Il prit son grand-arc, qu'il portait habituellement dans le dos
attaché à son carquois, et le banda rapidement entre ses jambes,
passa un vieux gant jaune à trois doigts à sa main droite et
sélectionna, dans son carquois dorsal, une flèche munie d'une
lourde olive de plomb.
Une bonne vieille flèche-assommoir.
Le cochon montait la pente, en danseuse, en soufflant comme un
boeuf.
Falquin tenait son arc en position, c'est à dire la flèche pointée
vers le sol. Au moment propice, lorsque la cible passa devant lui
à dix mètres de distance, il remonta son bras gauche, poussant
sur l'arme en même temps qu'il tirait sur la corde; la plume
chatouilla la commissure de sa lèvre indiquant à l'archer qu'il
était à l'ancrage. Falquin lâcha la corde, la flèche quitta le
tranche-fil en sifflant.
PAF!... en plein dans la tronche du cochon qui se ramassa
lourdement sur la route.
"Joli tir Messire!" se déclara joyeusement Falquin tout en sortant
de son couvert.
Sans se presser, l'archer débanda son arc et reprit la flèche qui
traînait à quelques pas de l'infortuné qui gémissait doucement en
bavant.
Falquin l'examina un instant et le tira par les pieds sur le bord du
chemin. Courtoisement, il l'étendit le dos contre un arbre puis lui
fit les poches qui se révélèrent vides.
"C'est rien Porky, demain il n'y paraîtra plus."
"GRouiikk..." répliqua l'autre qui reprenait déjà ses esprit.
Falquin monta sur le vélocipède qui avait valsé dans le fossé et
s'en alla en pédalant joyeusement vers Montolitator.
Sa monture mécanique était vieille mais bien entretenue.
Le cadre et la fourche étaient en bois bois de lasandre, une
essence légère et solide, les jantes et les rayons en osier étaient
dans un état parfait, les pneux, en sève de lastic semblaient
presque neufs, chaîne, pédalier, pignon étaient bien graissés et
presque dépourvus de traces de rouilles. Avec un tel vélo et s'il
ne traînait pas, Falquin avait sa chance de rallier Montolitator
avant la nuit.
Falquin pédalait à mesure qu'Escarboucle amorçait sa descente
vers l'est. Le vent qui fouettait le museau du renard était froid et
chargé d'humidité. La pluie, par bonheur, ne tombait presque
plus. Le cycliste dépassa une borne qui annonçait que le bourg
de Montolitator ne se trouvait plus qu'à huit kilomètres, il
redoubla son allure, luttant contre l'astre solaire déclinant.
Soudain l'homme-renard entrevit une grande silhouette qui
bougeait dans les bois sombres et menaçants qui bordaient la
route sinueuse.
L'oeil exercé du voleur ne put en identifier sa nature.
La frousse lui envoya une décharge d'énergie dans les guibolles.
Falquin pédalait maintenant comme un sportif dopé au venin de
xanule.
Dans son dos, un long et sinistre croassement déchira l'obscurité
nouvelle. Falquin se retourna sur sa selle et avisa un gros
sakamantèque qui courait après lui en filant sur ses multiples
pattes.
Il n'y avait pas pire prédateur dans la région.
L'assemblage d'ours, de crapaud et de guêpe sauta sur sa proie et
la manqua d'une courte longueur.
Les narines se Falquin s'emplirent d'une puanteur suffocante, il
faillit en lâcher son guidon.
Le chemin descendait maintenant en lacets. C'était un bon point
pour Falquin qui apercevait à présent avec espoir les lueurs de la
ville.
Un virage à gauche se présenta, le renard chercha les poignées
de freins mais le guidon de son vélo en était dépourvu.
"Certes!" déclara le cycliste tout en évitant d'un cheveu un
formidable gadin.
Le monstre était toujours dans son dos.
Falquin ne pouvait tenter un seul regard en arrière.
Il négociait les virages, freinaient en catastrophes avec les talons
ferrées de ses bottes qui lançaient des étincelles sur le silex de la
route, faisait de dangereuses embardée en tenant fermement son
guidon tout prenant garde de ne pas dérapé de la roue avant. Le
monstre de la nuit avait perdu pas mal de terrain, la ville était
toute proche, il ne restait plus qu'un ultime virage à négocier.
Falquin le rata complètement.
Il partit tout droit sur un remblai et décolla dans les airs.
Le renard se posa dans les ornières d'un champ, sur la roue
arrière, ce qui n'était pas si mal, mais, la roue avant, en
retombant sur le sol se coinça dans un andain. Le vélo capota,
roula plusieurs fois sur lui même, entraînant Falquin dans une
chute brutale.
Le voleur se releva couvert de boue et à moitié groggy.
Les restes du vélo étaient éparpillés dans tous les sens. Faisant fi
de ses ecchymoses, Falquin prit ses jambes à son cou et fila
direction de la grande palissade de bois qui ceinturait la ville.
Le renard avisa une grande porte qui se découpait dans les
remparts de rondins et ce pierres grises qui ceinturaient le bourg.
Le souffle court, il dégaina sa rapière et s'en servit pour en
marteler les ventaux fermés à double tour.
Le monstre, qui avait tenter de goûter les restes épars du vélo,
arrivait tranquillement sur les traces de sa proie.
"AU SECOURS! A MOI! A L'AIDE! UN MONSTRE EST A
MES TROUSSES!!!" hurlait Falquin à pleins poumons.
"Holà! Un peu moins de bruit!" répliqua une tête casquée à
longues oreilles marrons qui se découpait au sommet des
remparts.
"A L'AIDE, JE VAIS ME FAIRE BOUFFER!"
"C'est quoi? Encore un de ces mange-la-merde?" répondit le
chien d'un ton endormi et assez indifférent.
"NON! PAS DU TOUT, JE VIENS POUR LE CONCOURS...!"
"Ah, c'est très bien, quelle race je vous prie?"
" RENA... HEU... CHIEN! JE SUIS UN CHIEN! UN
HONNÊTE GENTILTOUTOU!!!"
"Ne bougez pas, j'arrive à l'instant, le temps de passer mes
fidèles pantoufles..."
"FAITES VITE, POUR L'AMOUR DES DIEUX!"
Le sackamenthèque se balançait maintenant à quelques vingt
mètres du voleur acculé.
Son énorme dard de guêpe dégouttant un poison jaune entrait et
sortait en cadence de sa gaine. Le monstre devait calculer la
future trajectoire qui l'amènerait fatalement au contact de son
prochain souper.
Falquin faisait face en tremblant la rapière haute.
Il défendrait chèrement sa peau même si ses genoux n'étaient pas
du même avis.
A l'instant où le mutant se propulsait sur ses puissantes cuisses,
une poterne s'ouvrit dans un des battants de la grande porte.
Falquin s'engouffra dans l'ouverture.
Un bruit sourd ébranla toute la structure du portail, des pierres se
détachèrent des murs. Le monstre venait de lancer, en vain, ses
trois tonnes de viande musclée.
"PCHIIITTT! File de là!" lui déclara le garde en refermant la
poterne d'un coup de talon négligent.
C'était un tout petit basset qui n'arrivait pas à la ceinture de
Falquin.
« Hop, et voilà le travail! Pas de quoi réveiller la ville toute
entière. »
« Certes Maître, il était moins une... » répondit Falquin le
bicorne à la main et le front recouvert d'une sueur glacée.
Au dehors, le monstre frustré repartit dans la nuit avec un mal de
crâne lancinant. Il poussa une dernière fois son horrible
gémissement sinistre.
Falquin reprenait son souffle. Une fois fait, il se pencha sur le
garde.
« Petit Maître, veux-tu m'indiquer l'auberge la plus confortable
de la ville! Je suis fourbu, crotté et mort de fringalouse! »
« Je compatis, noble étranger. La peur ouvre le ventre et parfois
aussi le fondement. L'auberge du Gras Vairon est sur la place du
village. La chère y est bonne, les prix sont abordables, c'est aussi
la seule auberge de la ville."
"Cela fera mon affaire et j'y boirai une coupe à ta santé!" termina
Falquin un peu vexé par l'insinuation scatologique du roquet.
Il recoiffa son feutre et tourna les talons.
« Hep! Pas si vite! Faut régler la taxe de séjour! » lui lança le
basset.
« La taxe? Quelle taxe? Je suis ici pour le concours, j'en suis
ainsi dispensé, et je vous rappelle que je suis Don Totobas
de...! »
« C'est la Loi! Coupa le roquet. Vous voulez retournez faire un
petit tour dehors? Pas de problème... non? Alors attendez un
instant, noble étranger, que je fasse mes comptes... dix roups
pour la taxe, dix roups pour l'ouverture de la poterne après
l'heure réglementaire, dix roups pour avoir troubler le sommeil
du garde en faction... cela fait... »
« Quinze roups je suis très doué en calculs! » déclara Falquin en
ouvrant sa bourse plate.
« Nenni,vous devez oubliez une retenue, votre calcul n'est pas
juste, j'en trouve quarante... »
« En voici vingt-cinq et je suis bon prince! Payez-vous! »
trancha Falquin agacé par l'âpreté du garde.
Le chien empocha les pièces, grogna un bonsoir presque
inaudible, monta sur l'échelle qui menait au chemin de ronde et
se recoucha dans son panier.
Falquin compta ce qui restait de son maigre pécule. Soixante-etonze
roups.
Une misère.
Même pas un florin d'or.
Ce n'était pas lourd.
Il lui fallait d'urgence se refaire.
« Diable! Dans cette région rien n'est gratuit! Maudit soit toutes
les lois de ces affreux mercantis! » pesta le voleur en se dirigeant
avec raideur vers le centre du village.
CHAPITRE TROIS
A L AUBERGE DU GRAS VAIRON.
L'auberge du Gras Vairon était une haute bâtisse de terre ornée
de colombage en porcelaine bleue. Elle était un peu de guingois
mais son toit de chaume vert et ses fines cheminées de verres
fumantes lui donnaient une apparence confortable et aimable. De
la lumière et des voix s'échappaient des petits hublots de
couleurs vives qui perçaient sa façade.
Falquin essuya ses bottes pleines de boue sur un épais paillasson
en peau de troch cavernicole, gratta, à l'aide du fil de sa dague,
les plaques de boue qui maculaient sa cape. Le visage fermé et
les yeux plissés par les diverses fumées tabagiques qui formaient
un impénétrable brouillard bleu familier, odorant et rassurant, le
voleur entra dans la salle principale.
La pièce était vaste et basse de plafond, noire de monde mais
propre. Le sol, recouvert d'une sciure fraîche, permettait aux
clients de cracher en toute liberté. L'homme-renard s'avança vers
un comptoir derrière lequel se tenait un canard qui essuyait ses
chopes. Une courte pipe de terre éteinte était planté dans son bec
orange. Il portait un col de chemise vert.
"Aubergiste! Je désire une chambre avec salle de bain!" ordonna
Falquin au palmipède.
L'homme-canard s'avança et inspecta l'étranger des pieds à la
tête, il ne fit pas de commentaire, son air était suspicieux.
Falquin adopta un aimable sourire.
"Bon, mon aspect n'est pas très reluisant, je vous l'accorde. Je
viens juste de me farcir dix bornes avec un sackamenthèque de
dix tonnes sur le cul. Je gage que je ne m'en sors pas aussi mal
que cela!"
"Z'avez-eu de la veine." répondit le canard sans ôter la pipe de
son bec, ce qui était une jolie performance.
Falquin toussa dans son poing et demanda à nouveau une
chambre.
"Il me reste une mansarde sous le toit, avec notre Tournoi
d'Archerie, nous sommes au complet. Vous venez pour le
concours?"
"C'est pour la beauté du sport que mes pieds m'ont porté
jusqu'ici!" répliqua le voleur qui n'aimait pas les questions.
"Il y aura beaucoup de pros cette année... la compétition sera
rude... le prix de la chambre est de trente roups la nuit, avec petit
déjeuner, nous pouvons vous faire couler un bain pour trois
roups, huit avec les sels."
Falquin paya pour la chambre et le bain mais sans les sels.
"Le forfait sels inclus de l'eau chaude et propre..." stipula
l'aubergiste en comptant les pièces avec sérieux.
"Cela fera très bien l'affaire, merci." répliqua Falquin sèchement.
Il détestait se priver d'un luxe pour une vulgaire question
d'argent..
"ZIT! Va montrer la chambre à Monsieur l'Archer!" lança
l'aubergiste à une servante qui trimait dans la salle.
C'était d'ailleurs une jolie chèvre qui fit monter Falquin en haut
d'un escalier branlant en colimaçon.
La chambre était petite. Le lit étroit et défait, l'armoire, à moitié
ouverte, laissé apparaitre du linge féminin.
La chèvre suivait le regard de Falquin. Elle déclara avec fataliste
mais stoïque.
" D'ordinaire c'est ma chambre. Cette nuit, je dormirais sur un
banc mais certainement pas dans son lit! Je déteste le contact de
ses palmes froides."
"Ce coquin n'a pas de bourgeoise?"
"Si, mais elle est en cure à Castelnaugrady, son foie est un peu
trop gras..."
"Certes... ce lit peut contenir deux corps, si cela vous convient,
je vous en accorde l'hospitalité." proposa Falquin en se
décoiffant courtoisement.
"Prenez d'abord un bon bain, je réfléchirai à cela..." rétorqua la
chèvre en battant ses long cils et en quittant la chambrette en
chaloupant du postérieur sur ses charmants sabots vermillon.
"Certes! Certes!!" ricana le renard en se jetant sur le lit.
"La salle d'eau est au fond du couloir, je vous apporte des
serviettes! Laissez vos frusques sur la chaise, je vais vous
décrotter tout ça!" lança la voix de la chèvre derrière la porte.
L'eau du bain était propre et chaude, la servante était bien
disposée à son égard!
Falquin se délassa puis se frotta le corps, la queue et les cheveux
avec un odorant savon parfumé à la lavande rouge. Frais et
dispos, il peigna délicatement sa belle queue rousse dans la
sécurité de la mansarde, endossa son pantalon de cuir fauve, sa
chemise blanche, son tricot et sa cape débarrassés des traces de
boue. L'estomac dans les talons, Falquin descendit dans la salle
de l'auberge.
Celle-ci s'était encore remplie et des gens en armes, sans doute
des archers, se mélangeaient aux villageois. Tout le monde
buvait avec application. De la bière, du vin, des alcools forts et
même des cafés stupéfumant.
Autour des tables, accoudé au comptoir, les archers discutait des
mérites comparés de différents types d'arcs, d'empennages de
flèches où d'exploits d'archerie plus où moins authentique. Les
habitués jouaient au gnome-vert, à la barcabanne, au
zombraigue. Certains poivrots hurlaient des malédictions,
d'autres chantaient où poussaient des clameurs de joie avinées.
Un taureau colossal, qui venait de vider un seau de bière noire,
s'écroula soudain dans la sciure, saoul comme une vache. Huit
marmitons le portèrent dans la cour après lui avoir volé sa
bourse.
Dans un coin, un vieux grattait une guitare tout en chantant du
bliz. Les cernes bistres qui encerclaient ses yeux rouges et
vitreux indiquaient un amour immodéré pour le jajba. La seule
table libre se trouvait près du musicien. Falquin s'y installa
content d'entendre un peu de musique. Le voleur dévora un
poulet aux herbes farci de pain chaud tout en descendant une
cruche de vin rouge pétillant. Le ventre lesté, il se confectionna
une cigarette de jajba puis en tendit une autre au blizman qui le
remercia avec courtoisie. Un serveur apporta la note. C''était
sans doute un des fils de l'aubergiste. Il portait aussi une pipe.
Falquin lui indiqua qu'il avait pris une chambre. L'autre s'excusa
mais insista pour être payé sur le champ en raison de la forte
fréquentation de l'auberge.
"Coin! C'est le Patron qui veut ça. Coin! avec tous les traineslattes
qui rodent dans le coin..."
Falquin régla les huit roups de l'addition et commanda une autre
cruche sans laisser le moindre pourboire. Il n'avait pas goûté le
ton hautain et les insinuations du canard.
"Connard de canard! Ces oiseaux incapables de voler sont d'une
indélicatesse..." déclara Falquin au blizman qui était un corbeau
aux ailes recouvertes de longues plumes noires parfaitement
fonctionnelles.
Chose vitale pour un corbeau qui désire faire de vieux os.
" C'est bien la vérité! En l'air, je suis le roi, même sans le sou!"
lui répliqua le barde avant de commencer une nouvelle chanson.
Le canard rapporta la cruche, Falquin lui demanda des
renseignements en rapport avec le concours d'archerie.
L'inscription coûtait un florin c'est à dire cent roups. Falquin
compta discrètement ce qui lui restait dans la bourse.
Vingt neuf roups.
Noire misère.
Il ne pourrait même pas s'offrir une nouvelle nuit à l'auberge.
Pour remédier à cet état de fait, Falquin s'intéressa au joueur de
gnome-vert.
Ce n'était pas des pros ni même des tricheurs et le renard avait
laisser ses cartes et ses dés truqués à l'abri dans sa chambre. Il ne
désirait pas se faire fouetter pour quelques malheureux roups.
Falquin pensait pouvoir racler un peu de fric en comptant sur sa
chance, sa mémoire et son sens de la psychologie. Il avait appris
tout un tas de trucs concernant les jeux de cartes à la Guilde et,
bien qu'il n'aimait pas particulièrement les cartes, il se
débrouillait assez bien lorsque la nécessité de poussait à jouer.
Falquin identifia aussi un fliique qui surveillait la salle. C'était
un gros clébard. Un molosse stupide armé d'un gourdin maousse.
Double raison pour jouer dans les règles.
D'une démarche volontairement désinvolte, Falquin se dirigea
vers une table où se tenaient trois joueurs.
Il salua courtoisement le trio tout en se présentant. Les joueurs,
d'abord méfiants, acceptèrent l'étranger à leur table en raison de
sa bonne mine.
"Nous jouons au Gnome-vert Apendicolaire, Don Totobas, vous
en connaissez les règles?" lui demanda Brotch, un courtois
homme-tortue vêtu d'un audacieux costume rose rayé de mauve
et qui arborait sur son revers un insigne du Totary-Club.
"Certes! J'ai joué deux ou trois fois à cette variante."
"C'est à moi de distribuer les cartes!" déclara Azor, un ratier, qui
ne cessait de braquer sur Falquin son regard pénétrant et
vindicatif.
"Faites-donc, nous vous en prions." répondit Igard, un chien à
longue toison frisée qui lui dévorait le visage et qui portait à
l'oreille gauche un petit cube d'ivoire indiquant sa fonction de
marchand itinérant.
Dans les premiers tours, Falquin perdit volontairement cinq
roups, il étudiait ses adversaires tout en badinant.
Le ratier semblait être médiocre bluffeur.
Brotch la tortue faisait n'importe-quoi mais avec panache et
désinvolture.
Igard, le plus dangereux, jouait avec prudence et attention.
Au quatrième tour, Falquin, qui possédait une tierce de bossus
baveurs, un manchot chauve et une ouivre, laissa monter les
enchères et rafla la mise car les autres s'étaient dégonflés sans
montrer leur jeu.
Il empocha quarante-cinq roups.
"Vous bluffiez, j'en suis certain!" déclara Azor avec une certaine
rancoeur.
"Il fallait me demander d'abattre mes cartes en ce cas!" lui
rétorqua Falquin, abrupt, car on ne faisait pas de commentaires
au Gnome Vert.
Il avait de la chance. Brotch venait de lui servir une tierce
croisée de goules odorantes et une paire de vierges molles. Une
très jolie donne.
"Une carte Don Totobas? Au fait, vous appartenez à un club?"
"Servi! Non, Maître Brotch, je n'appartiens à aucun club, mais
je soutiens beaucoup d'oeuvres de salubrité publique."
"Je me couche..." déclara Igard en posant ses cartes sur la table.
"Moi aussi..." renchérit Brotch.
"Vous bluffez encore! Je vous démasque et relance de dix
roups!" glapit joyeusement Azor en avançant son argent.
Falquin suivit et lança un dés triangulaire après avoir payé un
roup à la banque.
Le dés tomba sur les bases qui indiquaient le nombre un.
Ce résultat ne lui donnait pas la possibilité de piocher une
nouvelle carte mais cela lui était indifférent car il était déjà servi.
Cette ruse d'école ne semblait pas être connue du ratier.
"Ah!... pas de chance... et vous n'avez pas de jeu, sinon
pourquoi payer pour lancer un dés?"
Pour toute réponse Falquin se contenta de déclarer.
" Je relance de vingt roups."
"Fou! Vous persistez dans cette attitude! Je vous suis et relance
encore de vingt-cinq pour voir!"
Falquin déposa voluptueusement son full.
Le ratier déglutit et lança méchamment ses cartes sur la table
avant de quitter son siège sans ajouter un mot.
"Voici un bien mauvais perdant! déclara Falquin aux deux autres
tout en mélangeant maladroitement les cartes. Un autre tour?"
"Pas avec moi..." rétorqua Igard un sourire finaud sur ses lèvres
masqué de poils. Vous êtes trop bon joueur..."
"Ni moi non plus, je n'ai plus rien en poche, c'est assez
dommage car je venais de comprendre vos stratégies respectives
et j'allais sans doute me remonter... enfin, c'est la rude loi du
sport... garçon! mon jus de laitue!"
"Vous êtes ici pour le concours de tir, Messire?" demanda le
chien poilu.
"Certes, vous aussi, Maître Igard?"
"Non, je tire assez mal, je suis négociant en vin, j'avais une
livraison à faire à l'auberge, je repartirai après le tournoi car les
distractions sont assez rares dans la région."
"Lorsque j'étais jeune, j'étais un grand monteur de gloutre, j'ai
gagné le prix de Roseblanche en Catégorie Amateur. Ah, si
j'avais été plus fortuné, j'aurais fait sans doute un champion
incomparable..." déclara Brotch en passant ses pouces vert dans
les poches ventrales de son gilet.
" Certainement, les tortues font de redoutables cavaliers..."
"Hé oui, mon cher Don Totobas, c'est comme ça, nous brillons
dans de nombreux domaines! L'art martial Ninja par exemple!
J'ai aussi pratiqué cette discipline en mon temps, mais avec l'âge
vient la sagesse et je me suis tourné vers la Politique. Pas
seulement par ambition personnelle mais pour pouvoir être utile
à la communauté...."
"C'est très gentil de votre part."
"Je suis Humabestianiste! Nous sommes tous égaux à la surface
de Colmanthur, si, si, je vous l'assure! Il nous faut cependant,
nous les Races Civilisées, montrer un exemple de parfaite
droiture à nos petits frères sauvages encore trop capricieux."
"Ce sont de sages paroles Maître Brotch. Les animaux sont tous
égaux mais certains le sont plus que d'autres *." lui répondit
Falquin.
"Merci, si nous ne nous montrons pas exemplaires, nous,
tortues, chiens, poulets, canards, chevaux et j'en passe, jamais les
cagots et les nuisibles n'atteindrons notre niveau social, culturel
et même mental!"
"Cela va sans dire..."

* La Ferme des Animaux de Georges Orwell


"Je suis un progressiste, un partisan de la marche en avant!
Pensez que nous avons, et c'est sans précédent dans la région, un
lièvre et un castor comme Conseiller Municipaux? Le pouvoir
sort petit à petit de la ferme! Un jour, vous verrez, un loup
siègera peut-être au Conseil, qui sait? Chers amis, je me dois de
vous quittez. Ce fût une soirée fort culturelle! Je vous verrez
certainement demain, Don Totobas, car c'est moi qui m'occupe
des inscriptions. Maître Igard, je vous souhaite le bonsoir."
déclara Brotch en coiffant son haut de forme huit reflets et en
quittant l'auberge d'un train de sénateur.
" Un charmant érudit que ce Brotch!"
"C'est le Bourgmestre de Montolitator..."
"Les voies de la politique sont impénétrables..."
"C'est certain... Messire, je vous souhaite une bonne nuit et une
bonne chance pour le concours."